Usage des anesthésiques dissociatifs chez les chats de race Sphynx : des protocoles sans contre-indication particulière chez les animaux en bonne santé
Suite à la circulation, dans les milieux impliqués dans l’élevage et/ou le soin des chats de race Sphynx, de documents faisant état de contre-indications possibles à l’usage des anesthésiques dissociatifs chez ces animaux, l’Agence Nationale du Médicament Vétérinaire (Anses-ANMV) fait le point sur les données disponibles en pharmacovigilance et revient sur certaines recommandations essentielles en anesthésiologie.
Ces dernières années, de nombreux vétérinaires praticiens et propriétaires de chats de race Sphynx ont pu être confrontés à une information – relayée notamment par un document publié par le Sphynx Club de France – faisant état de contre-indications absolues à l’usage des anesthésiques dits dissociatifs (et en particulier de la kétamine) chez les animaux de cette race, au motif qu’ils pourraient causer des paralysies et des troubles respiratoires pouvant être mortels (en lien avec une maladie génétique héritée de croisements avec la race Devon Rex).
Toutefois, l’Agence Nationale du Médicament Vétérinaire (Anses - ANMV) tient à souligner qu’il n’existe à ce jour aucun cas déclaré, dans les bases nationale et européenne de pharmacovigilance vétérinaire, à l’appui de cette hypothèse. Même si un certain nombre d’accidents anesthésiques chez des chats, impliquant entre-autres des dissociatifs, sont régulièrement portés à la connaissance de l’Agence, l’analyse des données disponibles à ce jour ne permet en aucune manière d’objectiver une symptomatologie particulière ou une fréquence plus élevée des incidents spécifiquement liés à l’usage des dissociatifs chez des chats Sphynx.
Par ailleurs, selon les conclusions de vétérinaires spécialisés en anesthésiologie féline et en génétique de la race Sphynx, consultés dans le cadre des investigations menées sur ce dossier :
La prévalence des myocardiopathies chez les chats Sphynx en France a fait l’objet d’une publication récente [1] qui indique que, sur 147 individus étudiés, 34,2 % présentaient des anomalies cardiaques (HCM ou anomalies cardiaques congénitales) dont l’origine, selon les auteurs, serait le portage d’un gène autosomal dominant.
Les cas de myocardiopathies hypertrophiques (HCM) ne peuvent être diagnostiqués que par un examen échocardiographique adapté. Dans ce domaine le seul examen clinique peut, dans de nombreuses circonstances, se révéler insuffisant.[2]
Aucune donnée scientifique et/ou clinique actuelle ne permet d’établir de relation morbide particulière entre la kétamine et les chats de race Sphynx en bonne santé (c'est-à-dire ne souffrant d’aucune affection cardiaque, même occulte).
Néanmoins, il apparait que chez des animaux cardiopathes de race Sphynx, Maine Coon, Shorthair ou Européenne présentant une myocardiopathie hypertrophique, tous les dissociatifs (kétamine et tilétamine) peuvent – comme d’ailleurs la plupart des anesthésiques généraux – être considérés comme contre-indiqués de façon absolue ou relative, selon l’intensité de la dysfonction cardiaque associée. Il convient en outre de souligner qu’une telle limite d’usage des anesthésiques dissociatifs est à élargir aux myocardiopathies restrictives (autres affections cardiaques graves rencontrées dans l’espèce féline).
Plusieurs travaux sont encore en cours pour étudier les particularités génétiques de la race Sphynx, les maladies congénitales félines, et les éventuels accidents médicamenteux (y compris les complications anesthésiques) qui pourraient y être liés. Cependant, à ce jour, il n’existe pas d’argument pour étayer une contre-indication spécifique de la kétamine dans la race Sphynx.
Il appartiendra donc au vétérinaire praticien d’évaluer avec soin l’état de santé de l’animal avant l’anesthésie et d’apprécier les risques et bénéfices attendus, afin de mettre en place un protocole adapté au cas par cas. Au demeurant, compte-tenu des éléments qui précèdent, il apparait utile de souligner que :
Par conséquent, il convient de rappeler aux éleveurs la nécessité de faire réaliser des dépistages échocardiographiques pour l’ensemble des races félines prédisposées aux myocardiopathies.
En outre, un certain nombre de particularités de la race Sphynx sont également à prendre en compte par le vétérinaire praticien, notamment pour la prévention des hypothermies per et post-anesthésiques (en lien avec l’absence de fourrure) dont on sait que – quoiqu’indépendantes des agents médicamenteux utilisés – elles peuvent conduire à des bradycardies sévères susceptibles de majorer significativement la mortalité péri-anesthésique dans cette race.
Dr C. COLMAR, DMV, Expert en Pharmacovigilance, Anses-ANMV
Dr P. VERWAERDE, DMV, MSc, PhD, Maitre de conférences, Réanimation médicale et chirurgicale - Soins intensifs - Anesthésie, INP - ENV Toulouse
Dr A-C. GAGNON, DMV, lacledeschats@orange.fr
[1] Chetboul V et al.:
Prospective echocardiographic and tissue Doppler screening of a large Sphynx cat population: Reference ranges, heart disease prevalence and genetic aspects. J Vet Cardiol. 2012 Dec;14(4):497–509.
[2] Silverman SJ, Stern JA, Meurs KM.:
Hypertrophic cardiomyopathy in the Sphynx cat: A retrospective evaluation of clinical presentation and heritable etiology. Journal of Feline Medicine and Surgery. 2012 Apr 1;14(4):246–9.
LOOF